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FAUCHERRE-BURESI Hélo?se
Musique, nati on et Mezzogiorno : les contre-chants de l’unifi cati on italienne dans le second XIXème siècle
Thèse en Langues, littératures, cultures et civilisations romanes, soutenue le 07/05/2025.
Viru a me stissu, e pari casu stranu : / nascii ’n Sigilia, e sugnu ‘talianu (? Je me regarde, et ?a me semble étrange : / je suis né en Sicile, et je suis italien ?) : voilà les mots du poète populaire sicilien Giuseppe Cutello dans un chant circulant dans la région de Raguse au cours des années suivant la proclamation de l’Unité italienne (1861). Au même moment, on peut entendre résonner à Naples Vittorio vattenne ca si’ ‘nu mariuolo (? Victor va-t-en, t’es un voleur ?), ou encore, cette fois-ci dans les Pouilles, Garebbalde [...] iè mbame e tradetòre (? Garibaldi est un l?che et un tra?tre ?). Les regards posés sur l’actualité politique par ces chants des différentes régions de l’ancien Royaume des Deux-Siciles sont caractérisés par un sentiment d’étrangeté et d’incompréhension quant à la nouvelle identité italienne, et par une vive colère envers les artisans de l’unification et les dirigeants du pays. En effet, si les notes du Va pensiero de Giuseppe Verdi ou de l’hymne de Goffredo Mameli ont marqué l’histoire du Risorgimento et, surtout, la narration et l’imaginaire qui lui sont liés, on sait peu de choses de la musique ayant critiqué l’unification. Que chantaient les populations du Mezzogiorno au moment de l'unification nationale italienne ? Dans quelle mesure les chants populaires du sud de l'Italie de la seconde moitié du xixe siècle sont-ils producteurs et vecteurs de représentations critiques sur l'Unité et sur l'actualité politique des décennies post-unitaires ? Au croisement des études italiennes et de l'histoire des représentations, la thèse Musique, nation et Mezzogiorno : les contre-chants de l'Unification italienne dans le second xixe siècle se propose de répondre à ces questions en analysant un corpus de documents de l'oralité populaire, collectés pour la plupart par des folkloristes de l'Ottocento, mais également enregistrés, dans une moindre mesure, au cours des campagnes anthropologiques et ethnomusicologiques de la seconde moitié du xxe siècle. Il s’agit d’étudier la réception critique d’un moment-clé de l’histoire italienne – l’unification du pays – par les populations du Mezzogiorno, à travers le chant populaire. Après avoir délimité et défini les chants du corpus (Chapitre 1) et souligné les liens que ceux-ci entretiennent avec l’actualité (Chapitre 2), la thèse présente les expédients rhétoriques et les procédés créatifs mis en ?uvre dans les chants pour analyser et rendre intelligible l’actualité, ainsi que le système de valeurs partagés sur lequel repose la communication (Chapitre 3). Ce travail d’analyse s’accompagne de dénonciations, d’interpellations des responsables, de moqueries et de condamnations (Chapitre 4). Toutefois, certains des outils et des référentiels symboliques mobilisés par ce corpus de chants populaires ont partie liée avec les topoi des narrations patriotiques risorgimentales contre lesquelles ils prennent la parole (Chapitre 5). Des phénomènes de circulations mais également de renversements et de subversions peuvent ainsi être observés entre ces productions en apparence éloignées, tant d’un point de vue thématique et symbolique que musical (Chapitre 6). Enfin, la thèse s’intéresse à la fonction politique de ces chants et à la pratique sociale collective qu'ils constituent : relevant par certains aspects de la politisation ordinaire, les chants contestataires étudiés comportent une forte charge subversive, appelant à la prise de conscience et, parfois, à l’insurrection (Chapitre 7). Cette dimension n’empêche pas une tonalité fataliste et résignée de transpara?tre également de ces mêmes chants. Cette tension entre contestation et résignation, propre au folklore et au statut des groupes subalternes, cristallise de manière dialectique, à travers l’objet poético-musical qu’est le chant, les difficultés soulevées par la construction de l’identité nationale italienne dans le Mezzogiorno (Chapitre 8).
Mots-clés : Chant populaire - Sud de l'Italie - Unification - Politique - Risorgimento - Représentations
Viru a me stissu, e pari casu stranu : / nascii ’n Sigilia, e sugnu ‘talianu (“I look at myself, and it seems strange : / I was born in Sicily, and I am Italian”). These are the words of the Sicilian folk poet Giuseppe Cutello in a song that circulated in the Ragusa region in the years following the proclamation of Italian unification (1861). At the same time, in Naples, one could hear Vittorio vattenne ca si’ ‘nu mariuolo (“Victor, go away, you’re a thief”), while in Puglia, voices sang Garebbalde [...] iè mbame e tradetòre (“Garibaldi is a coward and a traitor”). The perspectives on political events expressed in these songs from various regions of the former Kingdom of the Two Sicilies is marked by a sense of estrangement and incomprehension regarding the new Italian identity, as well as by deep anger toward the architects of unification and the country's new rulers. Indeed, while the notes of Giuseppe Verdi’s Va pensiero and Goffredo Mameli’s anthem have shaped the history of the Risorgimento — especially in its dominant narrative and collective imagery — little is known about the music that critiqued unification. What, then, did the people of the Mezzogiorno sing at the time of Italian national unification? To what extent did popular songs from southern Italy in the second half of the 19th century both produce and convey critical perspectives on unification and the political developments of the post-unification decades? At the intersection of Italian studies and the history of representations, the dissertation Music, Nation, and Mezzogiorno: The Counter-Songs of Italian Unification in the Late 19th Century seeks to answer these questions by analyzing a corpus of oral folk traditions, primarily collected by 19th-century folklorists and, to a lesser extent, recorded during anthropological and ethnomusicological fieldwork in the second half of the 20th century. The goal is to examine how the populations of the Mezzogiorno critically received a pivotal moment in Italian history — the unification of the country — through the lens of folk songs. fter delimiting and defining the songs of the corpus (Chapter 1) and highlighting the connections they have with contemporary events (Chapter 2), this study explores the rhetorical strategies and creative processes used in these songs to interpret and make sense of contemporary political events, as well as the system of shared values upon which communication is based (Chapter 3). This interpretative work is often accompanied, in the songs, by denunciations, calls to account for the responsible parties, mockery, and condemnation (Chapter 4). However, some of the tools and symbolic references employed in these popular songs are closely linked to the very topoi of patriotic Risorgimento narratives they oppose (Chapter 5). This reveals a phenomenon of circulation and inversion between these seemingly distant musical traditions, both in terms of themes and symbolism, as well as musical form (Chapter 6). Finally, this dissertation examines the political function of these songs and the collective social practice they represent. These protest songs, in some respects akin to forms of everyday politicization, carry a strong subversive charge, calling for awareness and, at times, insurrection (Chapter 7). Yet this dimension does not preclude the presence of a tone of fatalism and resignation within the songs themselves. This tension between protest and resignation appears intrinsic to folklore and to the condition of subaltern groups, and it dialectically crystallizes in the poetic-musical form of song the challenges of constructing an Italian national identity in the Mezzogiorno (Chapter 8).
Keywords: Folk song ; Southern Italy ; National unification ; Politics ; Risorgimento ; Representations
Direction de thèse : Mme FRIGAU MANNING Céline et Mme SORBA Carlotta
Membres du jury :
- Mme Céline FRIGAU MANNING, Professeure des universités, Université Jean Moulin Lyon 3, France, Codirectrice de thèse
- Mme Carlotta SORBA, Professeure, Université de Padoue, Italie, Co-directrice de thèse
- Mme Perle ABBRUGIATI, Professeure des universités, Aix Marseille Université, Aix en Provence, France, Rapporteure
- M. Emanuele SENICI, Professeur, Université Sapienza, Rome, Italie, Rapporteur
- M. Xavier TABET, Professeur des universités, Université Paris 8, Saint Denis, France, Examinateur
- M. Carmine PINTO, Professeur, Université de Salerne, Italie, Examinateur
Présidence du jury : TABET Xavier